Il y a un an et demi, votre groupe se lançait dans un plan de refondation visant à « restaurer la confiance ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Fabienne Dulac : ORPEA s’est effectivement engagée, en novembre 2022 et suite aux deux crises majeures qu’elle a vécues – le Covid-19 et le scandale issu de la parution du livre Les Fossoyeurs –, dans un grand plan de refondation et d’amélioration globale, qui se poursuit aujourd’hui. Celui-ci comporte deux volets principaux : un premier évidemment tourné vers nos résidents, nos patients et nos collaborateurs, pour remettre l’humain au cœur de notre projet. Le second concerne, quant à lui, la restructuration financière de l’entreprise avec la mise en œuvre d’un important plan de sauvegarde mené sur plusieurs mois, la désignation d’un nouveau conseil
Fabienne Dulac : ORPEA s’est effectivement engagée, en novembre 2022 et suite aux deux crises majeures qu’elle a vécues – le Covid-19 et le scandale issu de la parution du livre Les Fossoyeurs –, dans un grand plan de refondation et d’amélioration globale, qui se poursuit aujourd’hui. Celui-ci comporte deux volets principaux : un premier évidemment tourné vers nos résidents, nos patients et nos collaborateurs, pour remettre l’humain au cœur de notre projet. Le second concerne, quant à lui, la restructuration financière de l’entreprise avec la mise en œuvre d’un important plan de sauvegarde mené sur plusieurs mois, la désignation d’un nouveau conseil
d’administration, et l’arrivée de nouveaux actionnaires ayant permis une recapitalisation à hauteur de 1,5 milliard d’euros. De quoi affirmer qu’emeis dispose désormais d’une base financière assainie et solide, nous offrant les capacités d’investissements indispensables à l’instauration d’une vision au long court, a fortiori dans un secteur en proie, comme on le sait, à d’importantes difficultés économiques.
Vous évoquiez également un volet humain... Quels en sont les grands axes ?
Celui-ci s’est d’abord matérialisé au travers de la reconstruction de notre socle RH, notamment par l’instauration du concept de symétrie des attentions, qui vise à apporter à nos collaborateurs les égards qu’ils méritent et les conditions optimales pour leur permettre d’accorder, à leur tour, toute leur attention aux résidents et aux patients. Nous avons pour cela pris plusieurs décisions majeures, au premier rang desquelles une importante revalorisation salariale, comprenant entre autres la mise en place d’un 13ème mois progressif et d’une mutuelle. En parallèle, nous avons décidé de fortement miser sur la formation, avec l’attribution d’un budget annuel dédié de 10 millions d’euros et la création, début 2024, d’IMPACT, la première école de management dédiée au secteur de la santé, du soin et de l’accompagnement, en partenariat avec l’EDHEC. À cela s’est ajouté un énorme effort de recrutement, visant tant à renouveler qu’à consolider nos effectifs, et se traduisant par plus de 600 recrutements par mois au plus fort de l’année passée. Enfin, nous nous sommes particulièrement intéressés à la santé émotionnelle de nos collaborateurs, en renforçant, par exemple, les cellules RPF dédiées aux risques psychosociaux.
600 recrutements par mois... Comment êtes-vous parvenus à de tels chiffres, dans un secteur en proie à de fortes tensions RH ?
Globalement, nous rencontrons les mêmes difficultés que nos confrères, notamment pour le recrutement d’aides-soignants, d’infirmières, ou de médecins. Néanmoins, il semble que notre projet de refondation soit vécu par certains comme un challenge à relever. Ils y voient la possibilité de s’impliquer dans un projet de transformation avec un enjeu fort de renouvellement et le sentiment d’avoir véritablement de l’impact dans leur action quotidienne. Cela est particulièrement vrai chez les jeunes générations et, pour la première fois, nous avons par exemple intégré plus de 1 000 alternants dans nos effectifs. L’effet vertueux ne s’arrête pas là, puisqu’il ressort également de ce contexte, l’émergence d’une dynamique collective forte.
Qu’en est-il de vos patients et résidents ?
Nous nous sommes attelés à redéfinir les fondamentaux de notre projet médical en mettant le soin et l'accompagnement au centre de toutes nos priorités, dans l’idée de les rendre les plus adaptés et les plus personnalisés possibles. Ce renforcement de notre politique médicale s’est ainsi traduit par la mise en place de nouvelles instances, à l’instar d’une com- mission médicale soignante, d’un conseil scientifique international et d’un conseil d'orientation éthique. Au-delà, nous avons fait le choix de remettre à plat l’ensemble de nos process et pratiques, grâce à un travail de fond mené par les directeurs d'établissements et les médecins, et la nomination de référents Qualité sur l'ensemble du territoire. Notre stratégie d’amélioration continue passe également par une intensification du dialogue avec les familles, notamment sur la prise en soin de leurs proches et la compréhension des actes médicaux qu’ils vivent.
En mars dernier, vous décidiez de tirer un trait sur le nom ORPEA en changeant d’identité. Pourquoi ce choix ?
L’une des raisons était la volonté d’apporter de la cohérence à notre groupe, en réunissant sous une entité commune nos différentes marques et activités – EHPAD, RSS, cliniques SMR, cliniques psychiatriques, et services et soins à domicile. Ce nouveau nom, emeis, signifie « nous » en grec et traduit bien la complétude de nos expertises, qui seront, comme nous le savons, amenées à se croiser, voire pour certaines à converger. L’autre objectif était évidemment de marquer le travail mené durant ces 18 derniers mois, et de revaloriser nos collaborateurs en leur donnant l’opportunité de se sentir fiers d’appartenir à notre entreprise. Beaucoup ont effectivement vécu comme une injustice le fait d’être emportés dans le scandale, et ce, alors même que 92 % de nos résidents et de leurs familles se disent satisfaits de l'accompagnement et des soins que nous prodiguons. Apparemment, nous ne nous y sommes pas trompés, puisque ce changement de marque a été extrêmement bien accueilli en interne.
Vous préparez actuellement votre stratégie pour la période 2025-2030. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
L’un des sujets sur lesquels nous travaillons concerne l'impact environnemental de nos établissements, dans une logique de double matérialité. Il y a là l’idée d’une véritable boucle vertueuse, permettant de considérer la prise en compte de la biodiversité non seulement comme une nécessité impérieuse, mais également comme un levier de bien-être pour les résidents. Nous nous intéressons par exemple à la création de jardins thérapeutiques, au recours à la médiation animale et plus généralement, au déploiement de pratiques non médicamenteuses. Au-delà, l’objectif de cette stratégie sera de nous projeter dans le long terme, en vue de nous adapter toujours mieux aux spécificités de nos résidents. Cela nous demandera de relever un double défi : gérer la spécialisation de nos établissements pour répondre aux besoins de profils plus âgés et souffrant de troubles parfois plus marqués, tout en développant de véritables maisons de vie.
Justement, comment se traduit ce concept chez emeis ?
Nous sommes actuellement en train d’en définir le cahier des charges, mais l’idée sous-jacente est donc de parvenir à mieux adresser, dans leurs individualités, les différents profils de résidents que nous avons, tout en insufflant davantage de vie dans nos établissements. Comment ? Notamment en continuant à développer des animations, mais surtout, en contribuant à rendre les résidents plus acteurs de leurs vies. Cela se fera à la fois en nous ouvrant vers l’extérieur, mais également en intégrant les compétences et habitudes passées de ces derniers. Nous pouvons, pour ce faire, nous appuyer sur les expériences d’autres pays. Je pense notamment aux Pays-Bas, où la notion de continuité de vie est particulièrement prégnante. Une maison de vie, selon emeis, ce serait donc un lieu qui ne marquerait pas une rupture trop nette avec la vie d’avant. Il nous faudra, pour y parvenir, prendre en compte beaucoup plus de paradigmes qu’actuellement, et cela rendra très certainement nos établissements beaucoup plus complexes à gérer. Mais nous nous y préparons, notamment en réfléchissant à une plus grande exibilité dans nos organisations de travail.
Un mot de conclusion ?
Je pense que nous sommes à un moment pivot. Nous avons à appréhender l'avenir en nous adaptant à un secteur qui, comme je le disais, doit répondre à un double phénomène : une plus grande spécialisation et la transformation des établissements en véritables lieux de vie. Cela n'est pas antinomique, mais nécessitera à la fois des investissements et une meilleure articulation de nos organisations. Je perçois également un autre enjeu, tout aussi important, c’est celui de la prévention. Il devient plus que nécessaire de nous y pencher, dans l’optique de mieux accompagner et organiser les parcours des patients et résidents, ce qui suppose la création de liens renforcés avec le domicile. Là aussi, l’expertise d’autres pays peut s’avérer utile. Je pense notamment à l’Espagne qui a su prendre de l’avance sur ces questions de prévention, de développement de l’ambulatoire, et des soins palliatifs. Un autre point auquel je suis particulièrement attachée concerne la digitalisation. Je suis assez frappée de constater le retard pris en la matière par le champ sanitaire et médico-social, avec des projets demeurant encore bien trop souvent au stade expérimental. Il y a donc, là aussi, un axe de développement important pour les années à venir avec de nombreux bénéfices envisageables, tant pour les résidents, que pour l’organisation du travail de nos collaborateurs.
> Article paru dans Ehpadia #36, édition de juin 2024, à lire ici
Vous évoquiez également un volet humain... Quels en sont les grands axes ?
Celui-ci s’est d’abord matérialisé au travers de la reconstruction de notre socle RH, notamment par l’instauration du concept de symétrie des attentions, qui vise à apporter à nos collaborateurs les égards qu’ils méritent et les conditions optimales pour leur permettre d’accorder, à leur tour, toute leur attention aux résidents et aux patients. Nous avons pour cela pris plusieurs décisions majeures, au premier rang desquelles une importante revalorisation salariale, comprenant entre autres la mise en place d’un 13ème mois progressif et d’une mutuelle. En parallèle, nous avons décidé de fortement miser sur la formation, avec l’attribution d’un budget annuel dédié de 10 millions d’euros et la création, début 2024, d’IMPACT, la première école de management dédiée au secteur de la santé, du soin et de l’accompagnement, en partenariat avec l’EDHEC. À cela s’est ajouté un énorme effort de recrutement, visant tant à renouveler qu’à consolider nos effectifs, et se traduisant par plus de 600 recrutements par mois au plus fort de l’année passée. Enfin, nous nous sommes particulièrement intéressés à la santé émotionnelle de nos collaborateurs, en renforçant, par exemple, les cellules RPF dédiées aux risques psychosociaux.
600 recrutements par mois... Comment êtes-vous parvenus à de tels chiffres, dans un secteur en proie à de fortes tensions RH ?
Globalement, nous rencontrons les mêmes difficultés que nos confrères, notamment pour le recrutement d’aides-soignants, d’infirmières, ou de médecins. Néanmoins, il semble que notre projet de refondation soit vécu par certains comme un challenge à relever. Ils y voient la possibilité de s’impliquer dans un projet de transformation avec un enjeu fort de renouvellement et le sentiment d’avoir véritablement de l’impact dans leur action quotidienne. Cela est particulièrement vrai chez les jeunes générations et, pour la première fois, nous avons par exemple intégré plus de 1 000 alternants dans nos effectifs. L’effet vertueux ne s’arrête pas là, puisqu’il ressort également de ce contexte, l’émergence d’une dynamique collective forte.
Qu’en est-il de vos patients et résidents ?
Nous nous sommes attelés à redéfinir les fondamentaux de notre projet médical en mettant le soin et l'accompagnement au centre de toutes nos priorités, dans l’idée de les rendre les plus adaptés et les plus personnalisés possibles. Ce renforcement de notre politique médicale s’est ainsi traduit par la mise en place de nouvelles instances, à l’instar d’une com- mission médicale soignante, d’un conseil scientifique international et d’un conseil d'orientation éthique. Au-delà, nous avons fait le choix de remettre à plat l’ensemble de nos process et pratiques, grâce à un travail de fond mené par les directeurs d'établissements et les médecins, et la nomination de référents Qualité sur l'ensemble du territoire. Notre stratégie d’amélioration continue passe également par une intensification du dialogue avec les familles, notamment sur la prise en soin de leurs proches et la compréhension des actes médicaux qu’ils vivent.
En mars dernier, vous décidiez de tirer un trait sur le nom ORPEA en changeant d’identité. Pourquoi ce choix ?
L’une des raisons était la volonté d’apporter de la cohérence à notre groupe, en réunissant sous une entité commune nos différentes marques et activités – EHPAD, RSS, cliniques SMR, cliniques psychiatriques, et services et soins à domicile. Ce nouveau nom, emeis, signifie « nous » en grec et traduit bien la complétude de nos expertises, qui seront, comme nous le savons, amenées à se croiser, voire pour certaines à converger. L’autre objectif était évidemment de marquer le travail mené durant ces 18 derniers mois, et de revaloriser nos collaborateurs en leur donnant l’opportunité de se sentir fiers d’appartenir à notre entreprise. Beaucoup ont effectivement vécu comme une injustice le fait d’être emportés dans le scandale, et ce, alors même que 92 % de nos résidents et de leurs familles se disent satisfaits de l'accompagnement et des soins que nous prodiguons. Apparemment, nous ne nous y sommes pas trompés, puisque ce changement de marque a été extrêmement bien accueilli en interne.
Vous préparez actuellement votre stratégie pour la période 2025-2030. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
L’un des sujets sur lesquels nous travaillons concerne l'impact environnemental de nos établissements, dans une logique de double matérialité. Il y a là l’idée d’une véritable boucle vertueuse, permettant de considérer la prise en compte de la biodiversité non seulement comme une nécessité impérieuse, mais également comme un levier de bien-être pour les résidents. Nous nous intéressons par exemple à la création de jardins thérapeutiques, au recours à la médiation animale et plus généralement, au déploiement de pratiques non médicamenteuses. Au-delà, l’objectif de cette stratégie sera de nous projeter dans le long terme, en vue de nous adapter toujours mieux aux spécificités de nos résidents. Cela nous demandera de relever un double défi : gérer la spécialisation de nos établissements pour répondre aux besoins de profils plus âgés et souffrant de troubles parfois plus marqués, tout en développant de véritables maisons de vie.
Justement, comment se traduit ce concept chez emeis ?
Nous sommes actuellement en train d’en définir le cahier des charges, mais l’idée sous-jacente est donc de parvenir à mieux adresser, dans leurs individualités, les différents profils de résidents que nous avons, tout en insufflant davantage de vie dans nos établissements. Comment ? Notamment en continuant à développer des animations, mais surtout, en contribuant à rendre les résidents plus acteurs de leurs vies. Cela se fera à la fois en nous ouvrant vers l’extérieur, mais également en intégrant les compétences et habitudes passées de ces derniers. Nous pouvons, pour ce faire, nous appuyer sur les expériences d’autres pays. Je pense notamment aux Pays-Bas, où la notion de continuité de vie est particulièrement prégnante. Une maison de vie, selon emeis, ce serait donc un lieu qui ne marquerait pas une rupture trop nette avec la vie d’avant. Il nous faudra, pour y parvenir, prendre en compte beaucoup plus de paradigmes qu’actuellement, et cela rendra très certainement nos établissements beaucoup plus complexes à gérer. Mais nous nous y préparons, notamment en réfléchissant à une plus grande exibilité dans nos organisations de travail.
Un mot de conclusion ?
Je pense que nous sommes à un moment pivot. Nous avons à appréhender l'avenir en nous adaptant à un secteur qui, comme je le disais, doit répondre à un double phénomène : une plus grande spécialisation et la transformation des établissements en véritables lieux de vie. Cela n'est pas antinomique, mais nécessitera à la fois des investissements et une meilleure articulation de nos organisations. Je perçois également un autre enjeu, tout aussi important, c’est celui de la prévention. Il devient plus que nécessaire de nous y pencher, dans l’optique de mieux accompagner et organiser les parcours des patients et résidents, ce qui suppose la création de liens renforcés avec le domicile. Là aussi, l’expertise d’autres pays peut s’avérer utile. Je pense notamment à l’Espagne qui a su prendre de l’avance sur ces questions de prévention, de développement de l’ambulatoire, et des soins palliatifs. Un autre point auquel je suis particulièrement attachée concerne la digitalisation. Je suis assez frappée de constater le retard pris en la matière par le champ sanitaire et médico-social, avec des projets demeurant encore bien trop souvent au stade expérimental. Il y a donc, là aussi, un axe de développement important pour les années à venir avec de nombreux bénéfices envisageables, tant pour les résidents, que pour l’organisation du travail de nos collaborateurs.
> Article paru dans Ehpadia #36, édition de juin 2024, à lire ici