Comment les EHPAD ont-ils vécu la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 ?
Emmanuel Sys : Même s’ils ont été diversement touchés par l’épidémie, tous les établissements ont été impactés d’une manière ou d’une autre par la crise. Cela s’est traduit par la mise en place d’organisations particulières dans des délais extrêmement courts. Je souhaiterais d’ailleurs saluer l’ensemble des équipes qui se sont grandement mobilisées avec, lorsqu’elles n’étaient pas directement touchées, un absentéisme finalement peu majoré. Néanmoins, il faut garder en tête que certains EHPAD, notamment dans le Grand-Est et en Île-de-France, ont subi l’épidémie de façon très violente et ont pu se retrouver en grande difficulté. Leurs personnels, au-delà de la fatigue physique, ont vécu des moments traumatisants conduisant parfois à des remises en question, voire à des formes de culpabilisation dont il faut bien se garder. Ces établissements doivent désormais retrouver un nouvel élan, de la sérénité, même si c’est compliqué.
Parmi les difficultés rencontrées et qui ont pu laisser des traces, figure la question des équipements de protection…
Emmanuel Sys : Les premiers établissements fortement bousculés par la crise ont effectivement cumulé les difficultés. En l’absence de masques ou de capacités à tester de manière importante, la vague épidémique les a frappés de façon aveugle. Cela a pu être d’autant plus difficile à accepter que, quelques semaines après, les outils de protection et de diagnostic, tout comme les organisations en unités dédiées, ont montré une certaine efficacité. Il ne s’agit pas là de faire un procès caricatural à l’intention des pouvoirs publics car nous avons vécu une crise totalement inédite, mais il convient, par retour d’expérience, d’anticiper la survenue de nouvelles crises.
La dimension doublement aggravante de nos établissements, à savoir l’accueil de personnes polypathologiques, très âgées et donc très à risques, dans un environnement collectif, sont le terreau d’un risque majoré. Un premier enseignement serait donc la nécessité de pouvoir s’organiser en prévention. Nous devons désormais disposer d’un éventail d’outils de protection et être en mesure de faire preuve d’une extrême réactivité.
Quels autres enseignements tirez-vous de la gestion de crise ?
Emmanuel Sys : Le rôle extrêmement important des médecins coordonnateurs et sans doute l’insuffisance du temps et des missions qui leur sont dévolus en EHPAD. Cela pose la question de leur salariat, mais également celle d’un possible recours à la prescription, comme cela a pu être mis en place durant la crise, avec des modes de fonctionnement très fluides et des prises de décision rapides. Plus globalement, cette crise a montré l’intérêt de chaînes de décision raccourcies au sein des établissements, qu’ils soient hospitaliers ou non. Les cellules de crise mêlant cadres de santé, médecins coordonnateurs et directeurs sont des schémas décisionnels qui ont globalement bien fonctionné et qui doivent inspirer notre modèle managérial. Autre constat, la capacité de réaction et d’organisation des établissements s’est révélée dépendante de la structuration administrative et des compétences.
Comment cela ?
Emmanuel Sys : Les EHPAD les plus isolés, avec peu de compétences en interne, ont sans doute plus souffert de la crise que ceux mieux dotés, ou organisés territorialement. Si les premiers ont eu à gérer et à assimiler seuls la multitude de doctrines tombées dans des temps très courts, ceux rattachés à des groupements de coopération ou des centres hospitaliers ont pu bénéficier de dispositifs facilitants la gestion de crise, tels que l’appui de cellules qualité ou d’infirmiers hygiénistes. Cela laisse à penser que demain, il faudra sortir les établissements de cet isolement trop prononcé et favoriser des formes de coopérations et de regroupements quelles qu’elles soient, GCSMS, GHT, etc. Tout comme il convient de pérenniser le rapprochement avec l’hôpital, qui s’est opéré par le biais de la télémédecine ou des compétences gériatriques et hotlines mises à disposition des EHPAD. Des outils qui ont, là encore, permis de raccourcir la chaîne de décision de manière extrêmement forte.
Ces points rejoignent certaines des propositions de la CNDEPAH relatives à l’avenir du modèle même de l’EHPAD. Au regard de ce que viennent de vivre les établissements, sont-elles toujours d’actualité ?
Emmanuel Sys : Plus que jamais ! La crise a une nouvelle fois montré la nécessaire réorganisation architecturale des établissements, et en la matière, la CNDEPAH défend la création d’établissements organisés en petites unités de vingt lits maximum. Car au-delà de porter atteinte à la qualité de l’accompagnement des résidents, la dimension ultra-collective des EHPAD représente un terrain favorable à la propagation d’épidémies, quelles qu’elles soient. Mais une telle approche n’est évidemment viable que si l’on y associe une hausse significative des effectifs. Là encore, la crise a remis en lumière le sous-effectif notoire des établissements. Il faut absolument y mettre un terme si l’on veut parvenir à mettre en place des organisations plus respectueuses des individus.
Avez-vous l’impression que les concertations en cours, et auxquelles vous participez, vont dans le bon sens ?
Emmanuel Sys : Sans parler d’arbitrages définitifs, nous sentons que nos propositions reçoivent un écho positif au sein des débats menés dans le cadre du Ségur de la santé ou de la construction de la loi Grand âge et autonomie. Ces deux chantiers, auxquels s’ajoute la préparation du PLFSS 2021, ont l’avantage d’être menés de front, dans des délais extrêmement resserrés et avec des acteurs communs. De quoi permettre une cohérence globale du discours et je l’espère, de ce qui en ressortira.
Il convient néanmoins d’être prudents, l’enjeu du Ségur étant de donner toute sa place au champ médico-social, dans un système qui a un penchant naturel pour une forme d’hospitalo-centrisme. De même, j’attends de voir si les arbitrages qui seront rendus, malgré des enveloppes extrêmement importantes, arriveront à donner satisfaction tant à un plan de réinvestissement majeur de l’hôpital, qu’à un plan de réinvestissement majeur du médico-social et de la ville. Il ne faudra pas qu’au travers d’un jeu de vases communicants, les premières réponses apportées, notamment en termes de revalorisations salariales, empêchent de répondre aux autres défis d’ordre structurel.
Et concernant les questions de gouvernance institutionnelle et financière ?
Emmanuel Sys : Sur ce point, nous sentons bien que les arbitrages en cours ne vont pas dans le bon sens. Nous redoutons que le pilotage des EHPAD soit confié exclusivement aux conseils départementaux. Il ne s’agit aucunement de méconnaître la qualité et l’investissement de certains départements dans le champ médico-social, mais le sens de l’histoire, le besoin de renforcer la médicalisation des établissements et leurs partenariats avec le secteur hospitalier appellent à renforcer la gouvernance des ARS. Au moment où la création d’une cinquième branche a été actée, il serait incohérent, de la part de l’État, de se dessaisir de la gestion territoriale de l’autonomie, au risque, majeur, d’accentuer les inégalités de territoires, que nous constatons tous depuis plusieurs années. Les valeurs départementales du point GIR dépendance l’ont montré. Et les modalités de versement de la prime Covid en sont une énième illustration.
Emmanuel Sys : Même s’ils ont été diversement touchés par l’épidémie, tous les établissements ont été impactés d’une manière ou d’une autre par la crise. Cela s’est traduit par la mise en place d’organisations particulières dans des délais extrêmement courts. Je souhaiterais d’ailleurs saluer l’ensemble des équipes qui se sont grandement mobilisées avec, lorsqu’elles n’étaient pas directement touchées, un absentéisme finalement peu majoré. Néanmoins, il faut garder en tête que certains EHPAD, notamment dans le Grand-Est et en Île-de-France, ont subi l’épidémie de façon très violente et ont pu se retrouver en grande difficulté. Leurs personnels, au-delà de la fatigue physique, ont vécu des moments traumatisants conduisant parfois à des remises en question, voire à des formes de culpabilisation dont il faut bien se garder. Ces établissements doivent désormais retrouver un nouvel élan, de la sérénité, même si c’est compliqué.
Parmi les difficultés rencontrées et qui ont pu laisser des traces, figure la question des équipements de protection…
Emmanuel Sys : Les premiers établissements fortement bousculés par la crise ont effectivement cumulé les difficultés. En l’absence de masques ou de capacités à tester de manière importante, la vague épidémique les a frappés de façon aveugle. Cela a pu être d’autant plus difficile à accepter que, quelques semaines après, les outils de protection et de diagnostic, tout comme les organisations en unités dédiées, ont montré une certaine efficacité. Il ne s’agit pas là de faire un procès caricatural à l’intention des pouvoirs publics car nous avons vécu une crise totalement inédite, mais il convient, par retour d’expérience, d’anticiper la survenue de nouvelles crises.
La dimension doublement aggravante de nos établissements, à savoir l’accueil de personnes polypathologiques, très âgées et donc très à risques, dans un environnement collectif, sont le terreau d’un risque majoré. Un premier enseignement serait donc la nécessité de pouvoir s’organiser en prévention. Nous devons désormais disposer d’un éventail d’outils de protection et être en mesure de faire preuve d’une extrême réactivité.
Quels autres enseignements tirez-vous de la gestion de crise ?
Emmanuel Sys : Le rôle extrêmement important des médecins coordonnateurs et sans doute l’insuffisance du temps et des missions qui leur sont dévolus en EHPAD. Cela pose la question de leur salariat, mais également celle d’un possible recours à la prescription, comme cela a pu être mis en place durant la crise, avec des modes de fonctionnement très fluides et des prises de décision rapides. Plus globalement, cette crise a montré l’intérêt de chaînes de décision raccourcies au sein des établissements, qu’ils soient hospitaliers ou non. Les cellules de crise mêlant cadres de santé, médecins coordonnateurs et directeurs sont des schémas décisionnels qui ont globalement bien fonctionné et qui doivent inspirer notre modèle managérial. Autre constat, la capacité de réaction et d’organisation des établissements s’est révélée dépendante de la structuration administrative et des compétences.
Comment cela ?
Emmanuel Sys : Les EHPAD les plus isolés, avec peu de compétences en interne, ont sans doute plus souffert de la crise que ceux mieux dotés, ou organisés territorialement. Si les premiers ont eu à gérer et à assimiler seuls la multitude de doctrines tombées dans des temps très courts, ceux rattachés à des groupements de coopération ou des centres hospitaliers ont pu bénéficier de dispositifs facilitants la gestion de crise, tels que l’appui de cellules qualité ou d’infirmiers hygiénistes. Cela laisse à penser que demain, il faudra sortir les établissements de cet isolement trop prononcé et favoriser des formes de coopérations et de regroupements quelles qu’elles soient, GCSMS, GHT, etc. Tout comme il convient de pérenniser le rapprochement avec l’hôpital, qui s’est opéré par le biais de la télémédecine ou des compétences gériatriques et hotlines mises à disposition des EHPAD. Des outils qui ont, là encore, permis de raccourcir la chaîne de décision de manière extrêmement forte.
Ces points rejoignent certaines des propositions de la CNDEPAH relatives à l’avenir du modèle même de l’EHPAD. Au regard de ce que viennent de vivre les établissements, sont-elles toujours d’actualité ?
Emmanuel Sys : Plus que jamais ! La crise a une nouvelle fois montré la nécessaire réorganisation architecturale des établissements, et en la matière, la CNDEPAH défend la création d’établissements organisés en petites unités de vingt lits maximum. Car au-delà de porter atteinte à la qualité de l’accompagnement des résidents, la dimension ultra-collective des EHPAD représente un terrain favorable à la propagation d’épidémies, quelles qu’elles soient. Mais une telle approche n’est évidemment viable que si l’on y associe une hausse significative des effectifs. Là encore, la crise a remis en lumière le sous-effectif notoire des établissements. Il faut absolument y mettre un terme si l’on veut parvenir à mettre en place des organisations plus respectueuses des individus.
Avez-vous l’impression que les concertations en cours, et auxquelles vous participez, vont dans le bon sens ?
Emmanuel Sys : Sans parler d’arbitrages définitifs, nous sentons que nos propositions reçoivent un écho positif au sein des débats menés dans le cadre du Ségur de la santé ou de la construction de la loi Grand âge et autonomie. Ces deux chantiers, auxquels s’ajoute la préparation du PLFSS 2021, ont l’avantage d’être menés de front, dans des délais extrêmement resserrés et avec des acteurs communs. De quoi permettre une cohérence globale du discours et je l’espère, de ce qui en ressortira.
Il convient néanmoins d’être prudents, l’enjeu du Ségur étant de donner toute sa place au champ médico-social, dans un système qui a un penchant naturel pour une forme d’hospitalo-centrisme. De même, j’attends de voir si les arbitrages qui seront rendus, malgré des enveloppes extrêmement importantes, arriveront à donner satisfaction tant à un plan de réinvestissement majeur de l’hôpital, qu’à un plan de réinvestissement majeur du médico-social et de la ville. Il ne faudra pas qu’au travers d’un jeu de vases communicants, les premières réponses apportées, notamment en termes de revalorisations salariales, empêchent de répondre aux autres défis d’ordre structurel.
Et concernant les questions de gouvernance institutionnelle et financière ?
Emmanuel Sys : Sur ce point, nous sentons bien que les arbitrages en cours ne vont pas dans le bon sens. Nous redoutons que le pilotage des EHPAD soit confié exclusivement aux conseils départementaux. Il ne s’agit aucunement de méconnaître la qualité et l’investissement de certains départements dans le champ médico-social, mais le sens de l’histoire, le besoin de renforcer la médicalisation des établissements et leurs partenariats avec le secteur hospitalier appellent à renforcer la gouvernance des ARS. Au moment où la création d’une cinquième branche a été actée, il serait incohérent, de la part de l’État, de se dessaisir de la gestion territoriale de l’autonomie, au risque, majeur, d’accentuer les inégalités de territoires, que nous constatons tous depuis plusieurs années. Les valeurs départementales du point GIR dépendance l’ont montré. Et les modalités de versement de la prime Covid en sont une énième illustration.
Prudence et communication, mots d’ordre de la Résidence Le Cèdre
Dans le département de l’Oise, fortement touché par l’épidémie, la résidence Le Cèdre, du groupe Colisée, a anticipé les directives officielles et notamment le choix de limiter les heures de visites. Dès fin février, celles-ci se déroulaient en chambre, sans enfant, et avec port du masque obligatoire pour tous. « Nous nous sommes aussi dits qu’un confinement progressif serait plus simple à accepter », explique Caroline Bonnal, sa directrice. Côté salariés, un sas d’hygiène a été créé. Chaque professionnel, direction comprise, devait se changer avant d’accéder à l’établissement.
« Il a fallu mettre en place un mode de vie différent, souligne encore la directrice. J’écrivais aux familles toutes les semaines ». Reconnaissantes, ces dernières ont d’ailleurs souhaité créer une cagnotte à destination des équipes. Pour Caroline Bonnal, cette confiance a beaucoup aidé. Il faut aussi dire que l’établissement n’a compté aucun cas de Covid-19, alors même que certains résidents subissaient des décès de proches. « Il y a certainement eu un facteur chance, mais je suis très fière du travail d’équipe accompli. Malgré les peurs, avoue-t-elle. Ce qui est sorti de cette crise, c’est l’entraide ». Mais également, le soutien des autorités, des municipalités et du groupe Colisée, avec notamment le déploiement d’une cellule psychologique. « Ce que je retiens, c’est qu’en cas de crise, nous sommes accompagnés », conclut la directrice.
« Il a fallu mettre en place un mode de vie différent, souligne encore la directrice. J’écrivais aux familles toutes les semaines ». Reconnaissantes, ces dernières ont d’ailleurs souhaité créer une cagnotte à destination des équipes. Pour Caroline Bonnal, cette confiance a beaucoup aidé. Il faut aussi dire que l’établissement n’a compté aucun cas de Covid-19, alors même que certains résidents subissaient des décès de proches. « Il y a certainement eu un facteur chance, mais je suis très fière du travail d’équipe accompli. Malgré les peurs, avoue-t-elle. Ce qui est sorti de cette crise, c’est l’entraide ». Mais également, le soutien des autorités, des municipalités et du groupe Colisée, avec notamment le déploiement d’une cellule psychologique. « Ce que je retiens, c’est qu’en cas de crise, nous sommes accompagnés », conclut la directrice.
La Maison Saint-Joseph entre gestion de crise et maintien de la vie
Confinée dès le 12 mars, la Maison Saint-Joseph de Jasseron, dans l’Ain, a rapidement opté pour un comité de direction journalier. « Nous avions anticipé beaucoup de choses, et nous n’avons jamais manqué de gants, de masques ou de blouses », explique ainsi Dominique Gelmini, le directeur de cette structure associative qui n’a eu aucun cas de Covid-19 à déplorer. « Au quotidien, nous rappelions aux équipes leur responsabilité quand ils sortaient de l’établissement » raconte-t-il encore, évoquant avec émotion l’engagement des professionnels, « prêts à renoncer à leurs vacances » ou congés pour garde d’enfant. Pour assurer le bon déroulement de cette période de crise, l’établissement a également fait le choix d’embaucher des renforts, 4 jours par semaine.
Les familles étaient, quant à elles, tenues informées de tout ce qui se passait, avec, quand cela était possible, des envois de photos des activités de leur proche, montrant ainsi « que l’établissement ne s’était pas transformé en prison ». Le directeur évoque enfin l’ampleur des soutiens obtenus, à la fois locaux et nationaux : « Le département nous a aidé, l’ARS, les familles, et de petits entrepreneurs sont venus nous donner des masques. Un restaurateur nous a aussi amené des plateaux pour que l’on puisse servir les repas en chambre. C’était à la fois touchant et rassurant de voir des gens penser à nous ».
Article publié sur le numéro de juillet d'Ehpadia à consulter ici.
Les familles étaient, quant à elles, tenues informées de tout ce qui se passait, avec, quand cela était possible, des envois de photos des activités de leur proche, montrant ainsi « que l’établissement ne s’était pas transformé en prison ». Le directeur évoque enfin l’ampleur des soutiens obtenus, à la fois locaux et nationaux : « Le département nous a aidé, l’ARS, les familles, et de petits entrepreneurs sont venus nous donner des masques. Un restaurateur nous a aussi amené des plateaux pour que l’on puisse servir les repas en chambre. C’était à la fois touchant et rassurant de voir des gens penser à nous ».
Article publié sur le numéro de juillet d'Ehpadia à consulter ici.