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Cédric Mancop, orfèvre des textures modifiées


Publié le Mercredi 10 Avril 2024 à 09:53

Les assiettes de ses recettes en textures modifiées ressemblent à des tableaux et les photos de ces dernières sont régulièrement admirées et partagées sur les réseaux sociaux. En dévoilant ainsi son travail, Cédric Mancop, chef cuisinier à l’EHPAD Le Pontreau Saint-Lucien, près de Poitiers, aimerait redorer l’image d’un pan mal-aimé de la restauration et montrer qu’il est possible de faire bon et beau, sans forcément plus de moyens.


©DR
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Rien ne prédestinait Cédric Mancop à la restauration collective et a fortiori au monde médico-social. Après une formation en école hôtelière, celui qui se projetait dans une carrière de pâtissier – mais qui s’est vu rattraper par une allergie à la farine –, s’essaie d’abord à diverses facettes du métier de cuisinier. Restauration gastronomique, saisonnière, traditionnelle, ou monde de l’évènementiel, rien ne semble manquer au CV de ce touche-à-tout qui supporte mal l’ennui.
 
C’est finalement le hasard qui, en 2014, le mène en EHPAD, « pour dépanner une amie ». Entre les murs de la résidence, il découvre l’attention portée aux personnes fragilisées, le « prendre soin jusque dans l’assiette » prôné par sa directrice, Anne Maillard, et sent qu’il sera en mesure « d’apporter quelque chose », soit tout ce qui selon lui définit l’essence même de sa profession. Ce sentiment d’utilité, mêlé à la nouveauté et au défi que représente ce type de restauration, finalement assez proche de ses missions chez des traiteurs, « pour le volume de couverts et l’idée qu’il faut sortir une prestation digne d’un restaurant avec peu de matériel », le poussent à rester plusieurs années.

Sublimer le mixé

En 2017, des soucis de santé éloignent Cédric Mancop des cuisines de l’EHPAD. Il n’en mettra pas moins son arrêt maladie à profit pour s’intéresser de plus près aux textures modifiées, ce « parent pauvre » de la restauration. « Je pense qu’il y a une réelle volonté de bien faire en EHPAD. On veut que les résidents mangent bien, mais on ne se donne pas forcément les moyens. Pourtant, il est important pour ces derniers de voir que leur avenir ne se résume pas à de la bouillie », explique-t-il.
 
Simplement avec de la gélatine et de l’agar-agar, « que des produits naturels, pas de poudre de perlimpinpin », il réalise que tout – hormis le kiwi et l’ananas, de sa propre expérience – peut être gélifié. « Un beurre pommade, des œufs, une crème fouettée peuvent aussi apporter de la texture à un plat ». Dès lors, il s’applique à travailler des recettes et dresser des assiettes à l’image de ce qu’il voudrait servir à sa grand-mère, elle-même entrée en maison de retraite.
 
« Quand je suis retourné à l’EHPAD, ça a vraiment fonctionné. Les tests d’albumine étaient très bons ». Et les plats tellement beaux, que certains résidents sans besoin spécifique ont même demandé à pouvoir eux aussi en profiter. « C’est plus facile de faire joli avec du mixé, concède le chef. On peut s’amuser, se faire plaisir ». Lui, qui déteste présenter deux fois la même assiette, ne s’en prive pas. En témoignent ses posts sur les réseaux sociaux.
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Partage de bonnes pratiques

Voulant montrer à ses pairs ce qu’il est possible de faire et espérant au passage redorer l’image de la restauration en EHPAD pour attirer la relève, Cédric Mancop se met en effet à publier quelques-unes de ses œuvres sur LinkedIn et Instagram. En 2020, il crée également le groupe Facebook « Restaurant d’EHPAD et textures modifiées », qui compte aujourd’hui près de 10 000 membres, et permet à ces derniers de partager leurs réalisations.
 
Si la mayonnaise prend, il doit néanmoins faire face à « pas mal de détracteurs qui me disaient que j’avais le temps ». Le cuisinier s’en défend, rétorquant simplement qu’une fois un produit mixé, le moulage est finalement facile et rapide à exécuter. « On pense souvent que la présentation va rajouter du travail, mais ce n’est pas vrai. Au contraire, cela va plutôt apporter du plaisir aux équipes et leur donner la possibilité de servir de jolies assiettes ».
 
À ceux qui évoquent des contraintes budgétaires, Cédric Mancop a aussi la réponse. « Il suffit d’un mixeur, d’une bombe à graisse et éventuellement de quelques moules en silicone. Mais vous pouvez tout aussi bien utiliser ce que vous avez à portée de main. Une coupe à glace fonctionne très bien, ou pour donner de la texture, du papier bulle et un cercle à pâtisserie. Alors oui, l’agar-agar coûte peut-être un peu cher, mais il colle 20 fois plus que la gélatine et on en utilise seulement 4g pour 1 litre de préparation ». D’autant que comme il aime à le rappeler, les résidents qui mangent mieux ont moins recours aux compléments hyperprotéinés, eux-mêmes onéreux.
 
Selon lui, la seule véritable difficulté résiderait plu- tôt dans le Plan de Maîtrise Sanitaire (PMS) et autres normes imposant une préparation au plus près du service. « Il y a une forme d’hypocrisie lorsque l’on sait qu’une mousseline de poisson pour un résident peut être préparée trois jours à l’avance, mais qu’une texture modifiée doit dater du jour même. Il faudrait vraiment se pencher sur ce sujet ».

Fédérer et communiquer

Le fait que son approche essaime auprès d’autres chefs en EHPAD constitue pour lui une petite victoire. Mais il le soutient, si leur volonté de s’engager dans une telle démarche est essentielle, les cuisiniers ne sont pas les seuls à avoir un rôle à jouer pour faire en sorte que les résidents ne craignent plus de passer aux textures modifiées. « Cela nécessite un projet global comprenant la direction et les équipes de soins », à l’image « des pièces d’un même puzzle ». Car l’objectif est également de retrouver l’aspect social du repas. Son secret : fédérer et communiquer. Avec les équipes, autant qu’avec les résidents. « Il est extrêmement important d’échanger sur les saveurs qu’ils vont redécouvrir sous une forme différente ». Notamment, en présentant l’assiette au moment du service – « cela prend 5 minutes » –, ou en essayant de récupérer des retours a posteriori.
 
Fort du succès de sa démarche à l’EHPAD Le Pontreau Saint-Lucien, Cédric Mancop, toujours à l’affût de nouveauté, s’en est allé quelques années vers d’autres aventures. Pourtant, depuis un an, le voici de retour dans les cuisines qui l’ont vu développer son art des textures modifiées. « Un retour aux sources », à la différence près qu’il endosse désormais également le rôle de formateur occasionnel auprès des équipes de cuisine des autres résidences du Groupe AFP.
 
- Les plats de Cédric Mancop sont à découvrir sur sa page LinkedIn ou sur le groupe Facebook « Restaurant d’EHPAD et textures modifiées ».

- Article publié dans le numéro d'avril d'Ehpadia, à découvrir ici.



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