Emmanuel Sys, Président de la CNDEPAH
L’EHPAD de demain représente un sujet de réflexion majeur pour la CNDEPAH. Pouvez-vous nous en parler ?
Emmanuel Sys : Nous sommes en effet tous conscients que le modèle actuel n’est plus tenable sur le long terme, non seulement sur le plan financier, mais aussi en matière d’organisation et de gouvernance. De plus en plus d’établissements ont par exemple du mal à recruter un directeur, ou même à le garder. À cette problématique démographique s’ajoutent des exigences d’efficience financière qu’un EHPAD moyen peut difficilement assumer seul : comment attirer et surtout fidéliser les compétences nécessaires avec des moyens toujours plus contraints ? L’approche collective pourrait ici faire sens, à une nuance près : les regroupements d’EHPAD, avec les pesanteurs qu’ils imposent, ne sont pas toujours compatibles avec les attentes des résidents et de leurs familles en matière d’individualisation des prestations. Il nous faut en prendre acte et réinventer un modèle qui donnerait à la fois satisfaction aux usagers et aux professionnels qui les accompagnent.Pourquoi ne pas faire coexister les directions communes et les groupements de coopération sanitaire – nécessaires en termes de performance organisationnelle – avec des unités à taille plus humaine ?
La composition plurielle de la CNDEPAH représente un atout de taille pour engager cette réflexion.
La Conférence porte la voix de directeurs d’établissements pour personnes âgées autonomes ou pour personnes dépendantes, pour certains rattachés à des centres hospitaliers et pour d’autres non. Cette spécificité l’amène à dépasser la segmentation habituelle entre le sanitaire et le médico-social, mais aussi la fragmentation actuelle entre l’établissement et le domicile – ce qui fait d’ailleurs écho aux préconisations du rapport Libault sur la concertation Grand âge et autonomie. Forte de sa transversalité, la CNDEPAH a donc souhaité créer un groupe de travail dédié à l’EHPAD de demain, qui sera opérationnel avant la fin de l’année. Nous sommes, ici, également guidés par la nécessité de redorer l’image de ces établissements, mise à mal par plusieurs campagnes de dénigrement, mais aussi, dans une certaine mesure, par le mouvement de contestation des personnels d’EHPAD. Bien que celui-ci ait été légitime sur le fond, il n’en a pas moins été préjudiciableauprès du grand public… Cela dit, la question des métiers du grand âge est centrale pour penser l’EHPAD de demain. C’est pourquoi la CNDEPAH a voulu contribuer à la mission confiée à Myriam El-Khomri sur leur attractivité.
Emmanuel Sys : Nous sommes en effet tous conscients que le modèle actuel n’est plus tenable sur le long terme, non seulement sur le plan financier, mais aussi en matière d’organisation et de gouvernance. De plus en plus d’établissements ont par exemple du mal à recruter un directeur, ou même à le garder. À cette problématique démographique s’ajoutent des exigences d’efficience financière qu’un EHPAD moyen peut difficilement assumer seul : comment attirer et surtout fidéliser les compétences nécessaires avec des moyens toujours plus contraints ? L’approche collective pourrait ici faire sens, à une nuance près : les regroupements d’EHPAD, avec les pesanteurs qu’ils imposent, ne sont pas toujours compatibles avec les attentes des résidents et de leurs familles en matière d’individualisation des prestations. Il nous faut en prendre acte et réinventer un modèle qui donnerait à la fois satisfaction aux usagers et aux professionnels qui les accompagnent.Pourquoi ne pas faire coexister les directions communes et les groupements de coopération sanitaire – nécessaires en termes de performance organisationnelle – avec des unités à taille plus humaine ?
La composition plurielle de la CNDEPAH représente un atout de taille pour engager cette réflexion.
La Conférence porte la voix de directeurs d’établissements pour personnes âgées autonomes ou pour personnes dépendantes, pour certains rattachés à des centres hospitaliers et pour d’autres non. Cette spécificité l’amène à dépasser la segmentation habituelle entre le sanitaire et le médico-social, mais aussi la fragmentation actuelle entre l’établissement et le domicile – ce qui fait d’ailleurs écho aux préconisations du rapport Libault sur la concertation Grand âge et autonomie. Forte de sa transversalité, la CNDEPAH a donc souhaité créer un groupe de travail dédié à l’EHPAD de demain, qui sera opérationnel avant la fin de l’année. Nous sommes, ici, également guidés par la nécessité de redorer l’image de ces établissements, mise à mal par plusieurs campagnes de dénigrement, mais aussi, dans une certaine mesure, par le mouvement de contestation des personnels d’EHPAD. Bien que celui-ci ait été légitime sur le fond, il n’en a pas moins été préjudiciableauprès du grand public… Cela dit, la question des métiers du grand âge est centrale pour penser l’EHPAD de demain. C’est pourquoi la CNDEPAH a voulu contribuer à la mission confiée à Myriam El-Khomri sur leur attractivité.
Que proposez-vous ?
Nous avons dévoilé plusieurs pistes en août dernier, en tenant compte des nouvelles exigences des usagers et des préconisations de Dominique Libault. Nous proposons par exemple d’engager uneréforme architecturale des EHPAD, avec la création d’unités ne dépassant pas 20 lits, au personnel soignant stable et dédié, et placées sous la responsabilité d’un cadre intermédiaire. Une telle transformation permettra de répondre à la demande d’individualisation des résidents et de leurs familles, tout en concourant à la solidarité professionnelle et donc à la limitation de l’absentéisme. Naturellement, l’augmentation des effectifs représente ici un prérequis indispensable. La CNDEPAH ayant à cœur de porter des revendications mûries et étayées, nous avons essayé de trouver unjuste milieu entre les effectifs attendus et leur faisabilité financière, à la fois en termes de recrutements et de valorisation des forces existantes.
Par exemple ?
Prenons le ratio global. À l’instar du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge, nous préconisons un ratio de 0,8, tout personnel confondu, contre 0,63 actuellement. Pour rappel, Dominique Libault avait, lui, évoqué un taux de 0,76. En tout état de cause, les futures unités de 20 lits devront être composées de trois soignants le matin et de deux l’après-midi, tous les jours de la semaine. Ce qui pose donc la question des recrutements à venir. Or une hypocrisie forte prévaut aujourd’hui sur le terrain, puisque de plus en plus de missions proches de celles des aides-soignants sont confiées aux agents des services hospitaliers qualifiés (ASHQ), faute d’effectifs suffisants. Pourquoi ne pas mettre à profit ce glissement de tâches pour accompagner de manière volontariste les ASHQ dans un processus de validation des acquis de l’expérience (VAE), avec reconnaissance financière à la clé ? En valorisant un vivier déjà très actif au sein des EHPAD et qui en connaît les exigences mieux que quiconque, il sera possible de couvrir une part importante des futurs recrutements tout en s’inscrivant dans une démarche citoyenne hautement estimable.
Mais c’est là une dynamique qui ne pourra se déployer que sur plusieurs années. Comment renforcer l’attractivité du métier pour les soignants déjà sur le terrain ?
Nous préconisons ici de généraliser la formation d’assistant de soins en gériatrie, qui deviendra alors un module obligatoire complémentaire à la formation initiale des aides-soignants travaillant en EHPAD. La prime associée sera elle aussi généralisée et intégrée au traitement indiciaire, ce qui permettra donc à la fois d’améliorer la qualification des aides-soignants et d’augmenter leur salaire, sans pour autant créer un corps dédié à la gériatrie et sans les enfermer dans un statut. Il nous semble également nécessaire d’enrichir le parcours professionnel des aides-soignants par la possibilité de valider des modules permettant l’approfondissement des connaissances gériatriques (prévention des chutes, douleur, fin de vie, nutrition, etc.), qui pourraient d’ailleurs entraîner une valorisation indemnitaire. Ce sont autant de perspectives qui permettront de dynamiser la profession et donc d’améliorer son attractivité, aussi bien auprès de ceux qui l’exercent aujourd’hui que de ceux qui choisiront ce métier demain.
Le métier souffre également de sa pénibilité. Comment prévoyez-vous d’adresser cet enjeu particulier ?
Il est en effet établi que le métier soignant est fortement touché par les accidents du travail. Par ailleurs, de nombreux aides-soignants en fin de carrière présentent des troubles musculo-squelettiques ou des aptitudes physiques diminuées. Ainsi, au-delà de notre strict intérêt de gestionnaires d’établissement, les directeurs d’EHPAD ont l’obligation éthique de tout mettre en œuvre pour que la retraite des soignants soit le moins impactée par le travail qui a été le leur. Mais les actions isolées ne serviront ici à rien – sauf, peut-être, à se donner bonne conscience. Pour être efficace et pérenne, une démarche QVT (qualité de vie au travail) impose une approche structurée, qu’il nous semble pertinent de contractualiser au sein des CPOM (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens) : généralisation des cartographies des risques au travail, organisation mutualisée de la prévention, déploiement des aides techniques, etc. Il faudra, naturellement, que ces points fassent également l’objet de financements complémentaires dans le cadre du forfait soins, qui aujourd’hui ne reconnaît pas, ni ne valorise, les actions de prévention.
Architecture, métiers… quid du numérique ? Comment positionner ces outils dans l’EHPAD de demain ?
La e-santé est effectivement un autre tournant à prendre. Il est vrai que le sujet est peu abordé au quotidien dans les EHPAD, eu égard à leurs difficultés organisationnelles, aux problèmes de recrutements, à l’absentéisme élevé des équipes. Mais il n’en faut pas moins y penser dès à présent. Là aussi, la CNDEPAH en appelle à une approche structurée, incluse – pourquoi pas – dans les CPOM. En tout état de cause, il est nécessaire d’unifier, ou du moins de simplifier, la gouvernance des projets de e-santé pour améliorer leur lisibilité par les différentes parties prenantes ; le système dual actuel ne peut en effet plus fonctionner. Les Agences Régionales de Santé (ARS) auront sans doute ici un rôle à jouer, peut-être en lien avec les groupements de coopération sanitaire en e-santé qui opèrent au sein des territoires et les groupements hospitaliers de territoire (GHT), pour favoriser une interopérabilité de fait – sous réserve d’engager les moyens nécessaires pour accompagner les établissements médico-sociaux sur la voie de la numérisation.
Le mot de la fin ?
Si l’on veut absorber efficacement le choc démographique annoncé pour 2025, il faut penser dès à présent l’EHPAD de demain. La CNDEPAH s’y attèle et, forte de sa présence sur le terrain et de sa transversalité, a dévoilé plusieurs pistes pour nourrir la réflexion. Mais leur mise en œuvre impose de repenser le modèle dans sa globalité, ce qui nécessite un engagement politique historique à hauteur des enjeux et des attentes.
Nous avons dévoilé plusieurs pistes en août dernier, en tenant compte des nouvelles exigences des usagers et des préconisations de Dominique Libault. Nous proposons par exemple d’engager uneréforme architecturale des EHPAD, avec la création d’unités ne dépassant pas 20 lits, au personnel soignant stable et dédié, et placées sous la responsabilité d’un cadre intermédiaire. Une telle transformation permettra de répondre à la demande d’individualisation des résidents et de leurs familles, tout en concourant à la solidarité professionnelle et donc à la limitation de l’absentéisme. Naturellement, l’augmentation des effectifs représente ici un prérequis indispensable. La CNDEPAH ayant à cœur de porter des revendications mûries et étayées, nous avons essayé de trouver unjuste milieu entre les effectifs attendus et leur faisabilité financière, à la fois en termes de recrutements et de valorisation des forces existantes.
Par exemple ?
Prenons le ratio global. À l’instar du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge, nous préconisons un ratio de 0,8, tout personnel confondu, contre 0,63 actuellement. Pour rappel, Dominique Libault avait, lui, évoqué un taux de 0,76. En tout état de cause, les futures unités de 20 lits devront être composées de trois soignants le matin et de deux l’après-midi, tous les jours de la semaine. Ce qui pose donc la question des recrutements à venir. Or une hypocrisie forte prévaut aujourd’hui sur le terrain, puisque de plus en plus de missions proches de celles des aides-soignants sont confiées aux agents des services hospitaliers qualifiés (ASHQ), faute d’effectifs suffisants. Pourquoi ne pas mettre à profit ce glissement de tâches pour accompagner de manière volontariste les ASHQ dans un processus de validation des acquis de l’expérience (VAE), avec reconnaissance financière à la clé ? En valorisant un vivier déjà très actif au sein des EHPAD et qui en connaît les exigences mieux que quiconque, il sera possible de couvrir une part importante des futurs recrutements tout en s’inscrivant dans une démarche citoyenne hautement estimable.
Mais c’est là une dynamique qui ne pourra se déployer que sur plusieurs années. Comment renforcer l’attractivité du métier pour les soignants déjà sur le terrain ?
Nous préconisons ici de généraliser la formation d’assistant de soins en gériatrie, qui deviendra alors un module obligatoire complémentaire à la formation initiale des aides-soignants travaillant en EHPAD. La prime associée sera elle aussi généralisée et intégrée au traitement indiciaire, ce qui permettra donc à la fois d’améliorer la qualification des aides-soignants et d’augmenter leur salaire, sans pour autant créer un corps dédié à la gériatrie et sans les enfermer dans un statut. Il nous semble également nécessaire d’enrichir le parcours professionnel des aides-soignants par la possibilité de valider des modules permettant l’approfondissement des connaissances gériatriques (prévention des chutes, douleur, fin de vie, nutrition, etc.), qui pourraient d’ailleurs entraîner une valorisation indemnitaire. Ce sont autant de perspectives qui permettront de dynamiser la profession et donc d’améliorer son attractivité, aussi bien auprès de ceux qui l’exercent aujourd’hui que de ceux qui choisiront ce métier demain.
Le métier souffre également de sa pénibilité. Comment prévoyez-vous d’adresser cet enjeu particulier ?
Il est en effet établi que le métier soignant est fortement touché par les accidents du travail. Par ailleurs, de nombreux aides-soignants en fin de carrière présentent des troubles musculo-squelettiques ou des aptitudes physiques diminuées. Ainsi, au-delà de notre strict intérêt de gestionnaires d’établissement, les directeurs d’EHPAD ont l’obligation éthique de tout mettre en œuvre pour que la retraite des soignants soit le moins impactée par le travail qui a été le leur. Mais les actions isolées ne serviront ici à rien – sauf, peut-être, à se donner bonne conscience. Pour être efficace et pérenne, une démarche QVT (qualité de vie au travail) impose une approche structurée, qu’il nous semble pertinent de contractualiser au sein des CPOM (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens) : généralisation des cartographies des risques au travail, organisation mutualisée de la prévention, déploiement des aides techniques, etc. Il faudra, naturellement, que ces points fassent également l’objet de financements complémentaires dans le cadre du forfait soins, qui aujourd’hui ne reconnaît pas, ni ne valorise, les actions de prévention.
Architecture, métiers… quid du numérique ? Comment positionner ces outils dans l’EHPAD de demain ?
La e-santé est effectivement un autre tournant à prendre. Il est vrai que le sujet est peu abordé au quotidien dans les EHPAD, eu égard à leurs difficultés organisationnelles, aux problèmes de recrutements, à l’absentéisme élevé des équipes. Mais il n’en faut pas moins y penser dès à présent. Là aussi, la CNDEPAH en appelle à une approche structurée, incluse – pourquoi pas – dans les CPOM. En tout état de cause, il est nécessaire d’unifier, ou du moins de simplifier, la gouvernance des projets de e-santé pour améliorer leur lisibilité par les différentes parties prenantes ; le système dual actuel ne peut en effet plus fonctionner. Les Agences Régionales de Santé (ARS) auront sans doute ici un rôle à jouer, peut-être en lien avec les groupements de coopération sanitaire en e-santé qui opèrent au sein des territoires et les groupements hospitaliers de territoire (GHT), pour favoriser une interopérabilité de fait – sous réserve d’engager les moyens nécessaires pour accompagner les établissements médico-sociaux sur la voie de la numérisation.
Le mot de la fin ?
Si l’on veut absorber efficacement le choc démographique annoncé pour 2025, il faut penser dès à présent l’EHPAD de demain. La CNDEPAH s’y attèle et, forte de sa présence sur le terrain et de sa transversalité, a dévoilé plusieurs pistes pour nourrir la réflexion. Mais leur mise en œuvre impose de repenser le modèle dans sa globalité, ce qui nécessite un engagement politique historique à hauteur des enjeux et des attentes.