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"Les personnes âgées ne semblent pas être une priorité pour les pouvoirs publics"


Publié le Lundi 6 Juin 2022 à 12:02

Médecin généraliste à Gerstheim, dans le Bas-Rhin, le Docteur Pascal Meyvaert a été élu en novembre dernier à la tête du Syndicat des médecins coordonnateurs, en EHPAD et autres structures, généralistes ou gériatres (SMCG-CSMF). Rencontre.


Pour commencer, pourriez-vous nous présenter votre syndicat ?
Dr Pascal Meyvaert : Rattaché à la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), il s’attache à défendre les intérêts des médecins coordonnateurs intervenant au sein des EHPAD, mais aussi dans d’autres structures gérontologiques ou libérales, comme les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Nos adhérents et sympathisants sont pour l’essentiel des médecins généralistes, qui forment le gros des troupes en ce qui concerne les médecins coordonnateurs et les médecins traitants dans les EHPAD. Ils y côtoient quelques gériatres libéraux – qui restent cependant minoritaires sur cette fonction. Nous appelons d’ailleurs tous nos confrères médecins coordonnateurs à adhérer à notre syndicat, afin de pouvoir mieux porter leur voix auprès des pouvoirs publics.

La coexistence de ces deux profils au sein des EHPAD – médecins généralistes et praticiens hospitaliers – s’est récemment traduite par un imbroglio…
Les praticiens hospitaliers intervenant en EHPAD en tant que médecins coordonnateurs ont en effet été intégrés à la première salve de valorisations salariales issues du Ségur de la Santé, tandis que les généralistes libéraux exerçant des fonctions similaires ont été oubliés. Je me suis engagé à réparer cette injustice lors de mon élection à la présidence du SNMG-CSMF en novembre 2021 : des contacts ont aussitôt été pris au ministère et avec l’intersyndicale des « oubliés du Ségur », parallèlement à l’organisation d’une action coup de poing qui consistait à suspendre la vaccination des personnels en EHPAD. Nous avons obtenu gain de cause en février dernier, avec une amélioration substantielle des salaires des médecins coordonnateurs d’EHPAD. Le Premier ministre s’y est engagé, et nous attendons désormais les textes d’application.

Cette valorisation est d’autant plus nécessaire qu’il existe un réel manque de médecins coordonnateurs en EHPAD. Pourriez-vous nous en parler ?
En 2015, d’après une enquête de la DREES, près d’un tiers des EHPAD ne déclarait en effet aucun Équivalent Temps Plein (ETP) médecin coordonnateur. La tendance a empiré avec la crise sanitaire et les événements difficiles de ces deux dernières années : plusieurs confrères ont jeté l’éponge, déçus par le manque de reconnaissance des autorités publiques et des tutelles. Nous espérons donc que cette revalorisation salariale contribuera à freiner l’hémorragie, en créant de meilleures conditions pour le recrutement et la fidélisation des médecins coordonnateurs dans les EHPAD – ce qui pourrait d’ailleurs contribuer à rendre notre métier plus attractif, en particulier auprès des jeunes générations.

Le profil du médecin coordonnateur en EHPAD fait aujourd’hui débat. Comment vous positionnez-vous ici ?
Les réflexions actuelles autour de la médicalisation des EHPAD voient en effet certains de nos maîtres en de gériatrie préconiser le remplacement des médecins généralistes par des gériatres hospitaliers. Nous n’y souscrivons absolument pas. D’une part, parce que les médecins généralistes disposent de toutes les compétences requises pour prendre en charge des personnes âgées, qui représentent l’essentiel de notre patientèle en ville. Et d’autre part, parce qu’il est mathématiquement impossible que les praticiens hospitaliers gériatres couvrent les besoins de plus de 7 000 EHPAD, alors même que tous les postes sont loin d’être pourvus à l’hôpital. Il est en outre rare qu’un interne ayant choisi la gériatrie hospitalière veuille devenir médecin coordonnateur en EHPAD, où il n’existe aucune perspective de carrière. L’équation est simple : si l’on veut médicaliser les EHPAD, il faut inciter plus de médecins généralistes à prendre la fonction de médecin coordonnateur. Cela dit, les déserts médicaux concernant les médecins généralistes sont les mêmes que ceux des médecins coordonnateurs…

Pour autant, quel regard portez-vous sur cette médicalisation des EHPAD ?
Je souhaiterais d’abord saluer le travail effectué par les Professeurs Claude Jeandel et Olivier Guérin, dont le rapport nourrit la feuille de route nationale destinée aux EHPAD : leur publication est une mine d’or sur le plan informationnel et statistique, avec des données qui nous sont très utiles. Les diagnostics qu’ils posent sont les bons… mais les solutions proposées ne le sont pas. Certes, les professionnels de terrain que nous sommes constatons aussi que les personnes admises en EHPAD ont des pathologies plus nombreuses, que leur perte d’autonomie est majorée. Mais nous ne sommes pas persuadés qu’il faille tout axer sur les soins. Un EHPAD n’est pas un hôpital. Une présence médicale y est nécessaire, mais c’est avant tout un lieu de vie. Il est dommage que ce dernier volet soit oublié dans le rapport Jeandel-Guérin, alors même que la pandémie nous a montré que les résidents et leurs familles ne voulaient pas d’un EHPAD « tout sanitaire ». Un équilibre doit être trouvé.

Pourrions-nous nous passer des EHPAD ?
S’il serait intéressant de développer des structures intermédiaires entre le domicile et l’EHPAD, ces derniers n’en ont pas moins une utilité réelle. Les médecins généralistes suivent de nombreuses personnes âgées maintenues à domicile. Nous constatons leur isolement, leur solitude – qui font pourtant rarement les gros titres des journaux. Lorsqu’elles perdent leur autonomie, où les accueillir, sinon en EHPAD ? Elles y sont mieux que seules chez elles, à moins de pouvoir financer une présence à domicile 24h/24 – ce qui est impossible. La question ne porte donc pas tant, à mon sens, sur le modèle des EHPAD en tant que tel, que sur les moyens qui leur sont alloués. Il faut pouvoir financer des animations, des repas de qualité, mais aussi des ressources soignantes à hauteur des besoins – y compris des ergothérapeutes et des psychologues, dont la présence est bénéfique pour les résidents.

Sur quels champs porteront vos travaux ces prochains mois ?
Nous resterons vigilants sur les suites données à la feuille de route nationale, en continuant à nous battre pour que les médecins généralistes aient toute leur place en EHPAD – ce qui impose qu’ils aient un temps dédié pour la coordination, et un temps pour les soins. Il nous paraît également important de surveiller l’augmentation du temps de présence des médecins coordonnateurs : avec une durée minimale de présence équivalente à 0,4 ETP, quelle que soit la taille de l’établissement, de nombreux médecins coordonnateurs en poste sur plusieurs EHPAD vont devoir faire des choix et abandonner un des établissements où ils exercent faute de temps, ce qui va accroître le nombre d’EHPAD dépourvus de médecin coordonnateur. Augmenter le temps de présence du médecin coordonnateur est un objectif si les ressources humaines le permettent, ce qui est loin d’être le cas. Pourtant, pour les équipes soignantes comme pour les résidents, il est préférable de disposer d’un médecin coordonnateur à temps réduit, plutôt que pas de médecin du tout. Il faudrait également augmenter les postes d’infirmiers en pratique avancée (IPA)… sous réserve de pouvoir d’abord recruter des infirmiers et des aides-soignants sur les postes déjà ouverts.

Le mot de la fin ?
La prise en charge de la personne âgée en EHPAD nécessite une approche pluridisciplinaire, qui doit être financée à hauteur des enjeux. Cela fait près de 20 ans que j’exerce en tant que médecin coordonnateur en EHPAD, j’ai commencé en 2003, l’année de la canicule. Tous les 3-4 ans, on redécouvre la situation au sein de ces établissements, les difficultés des résidents et des soignants, il y a des réactions politiques, des annonces… et puis plus rien. Les atermoiements autour de la future loi dédiée au grand âge et à l’autonomie, que l’on ne finit plus d’attendre, sont à ce titre éloquents : les personnes âgées ne semblent pas être une priorité pour les pouvoirs publics, et nous ne pouvons que le déplorer.

Article publié dans le numéro d'avril d'Ehpadia à consulter ici



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