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En Bretagne, 53 maires attaquent l’État


Publié le Mardi 19 Novembre 2024 à 10:18

Face au manque de moyens dans les EHPAD, 53 maires bretons engagent la responsabilité de l’État et des Agences régionales de santé devant le tribunal administratif. Au-delà des indemnités espérées pour améliorer la situation financière de ces établissements, ils comptent aussi alerter sur des conditions de travail et de vie difficiles au sein de leurs structures.


« Aujourd’hui, 85 % des EHPAD associatifs ou territoriaux sont en déficit. Certains ne peuvent même plus payer l’électricité ou les loyers ! ». Le constat de Jean-Louis Even, maire de La Roche-Jaudy, une commune des Côtes-d’Armor, est sans appel : « La situation se dégrade au détriment du personnel et des résidents des EHPAD ». Face à l’absence de réponse des pouvoirs publics, 53 mairies de Bretagne ont donc décidé de poursuivre l’État et les Agences régionales de santé auprès du tribunal administratif de Rennes. Depuis plusieurs mois, les maires concernés, qui, aux termes de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles, sont, de droit, présidents du Conseil d’administration des CCAS locaux (Centres communaux d’action sociale), ont ainsi engagé les démarches prévues par la procédure, avec notamment l’envoi, dès le mois de mai 2024, de demandes et de recours administratifs préalables déposés auprès des administrations de tutelle : Départements, ARS et État.

16 premiers dossiers déposés au tribunal administratif

Depuis, un accord a été trouvé avec les Conseils départementaux du Finistère, des Côtes-d’Armor et d’Ille-et-Vilaine – le quatrième département breton, le Morbihan, n’ayant pas été sollicité dans cette première vague. Le litige demeure néanmoins actif pour les ARS et l’État, qui n’ont pas répondu aux demandes, « entraînant donc un rejet implicite », explique Maître Cédric Roquet, avocat au Cabinet Coudray de Rennes et représentant des maires. « Ces étapes, dont celle du pré-contentieux, sont nécessaires au bon déroulement de la procédure », insiste l’avocat.

Les démarches réglementaires ayant désormais été effectuées, une première vague de 16 requêtes introductives d’instance a été déposée entre le 15 et le 17 septembre au tribunal administratif de Rennes. Une deuxième vague, d’une quinzaine de demandes indemnitaires préalables, a quant à elle été envoyée au début du mois d’octobre, et d’autres devraient suivre encore. « Réunir les pièces de ces dossiers de recours est chronophage et parfois compliqué. Il est donc tout à fait normal que les démarches ne suivent pas toutes le même rythme dans les structures concernées, mais l’ensemble des procédures avance », indique Me Roquet. « D’ici le premier trimestre 2025, entre 40 et 50 dossiers auront été transmis au tribunal », complète Jean-Louis Even, qui espère faire grossir les rangs des maires contestataires jusqu’à atteindre, à terme, les 100 dossiers.

Trois préjudices mis en avant

Et, si chaque structure a décidé de déposer elle-même son recours, c’est bien à cause du préjudice et du type de démarche choisie. En effet, le contentieux vise à mettre en évidence l’existence d’une faute, soit « la méconnaissance des obligations de financement des autorités de tutelle, portant préjudice aux EHPAD, et en l’occurrence la difficulté de faire fonctionner les EHPAD au quotidien, et d’assurer de l’aide et des soins de qualité aux résidents », explique Me Roquet, insistant ici sur les droits fondamentaux et sur les notions « de dignité, d’autonomie et de vie privée et familiale ». Les CCAS qui attaquent l’État visent donc à obtenir des indemnités pour les préjudices subis, avec déjà huit millions d’euros demandés autour de trois principaux types de préjudices : économiques, d’image et de gestion.

« Les déficits se sont largement creusés dans les EHPAD ces quatre dernières années. À cela s’ajoute une image dégradée des établissements, qui sont dès lors moins attractifs auprès du personnel. Ils doivent par ailleurs se tourner vers des crédits non reconductibles, ce qui entraîne une absence de lisibilité dans leur gestion », résume l’avocat. « Cette situation a également un impact sur les résidents, qui doivent attendre qu’un soignant se libère pour pouvoir, par exemple, être accompagnés aux toilettes, ce qui, à terme, peut engendrer la mise en place précoce de changes. De la même manière, les déplacements en fauteuil roulant seront privilégiés pour “gagner du temps”, impliquant là aussi une perte d’autonomie notable », décrit Jean-Louis Even, qui réclame, « conformément à la demande de la Défenseure des droits et au dernier rapport sénatorial », à « avoir les moyens de créer de bonnes conditions de travail et de vie pour les résidents et les agents »

Des effets qui se ressentent déjà

Bien que plusieurs mois soient nécessaires pour obtenir une réponse du juge – « entre 14 et 18 mois après la saisie du tribunal », estime Me Roquet –, la démarche entamée par les maires bretons fait déjà des émules. Reprise dans plusieurs médias locaux et nationaux, la mobilisation a permis d’attirer l’attention des pouvoirs publics et de la population sur le manque de moyens dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. « Nous avons déjà pu rencontrer régulièrement les tutelles, dont trois ministres, et nous commençons à pouvoir intégrer les commissions d’attribution des crédits non reconductibles », se félicite Jean-Louis Even, qui est aussi membre de l’association des présidents de CCAS.

Après plusieurs mois de mouvement, les maires ont, en effet, choisi de se regrouper au sein d’une association. Leur objectif ? Faciliter la gestion administrative et juridique des démarches tout en offrant un terrain d’entraide et de partage pour les parties prenantes. Car cette mobilisation se veut réellement « transpartisane », insiste Jean-Louis Even : « Tous les sénateurs et députés bretons, quel que soit leur bord politique, ont d’ailleurs signé, en septembre dernier, un courrier au Premier ministre Michel Barnier “en soutien aux EHPAD” ». Et pour les maires, « c’est aussi un moyen de nous protéger », poursuit l’élu. « Si on ne dit rien, c’est que l’on accepte la situation. Et s’il y a des accidents, les présidents des Conseils d’administration des CCAS – c’est-à-dire nous-mêmes –, les soignants ou le directeur peuvent être poursuivis. Nous devons donc tirer la sonnette d’alarme, pour préserver tous ces acteurs et améliorer les conditions de vie et de travail au sein des EHPAD ».

> Article paru dans Ehpadia #37, édition d'octobre 2024, à lire ici 


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