Pharmacie / Hygiène

Antibiorésistance en EHPAD : d’importants besoins de formation


Publié le Lundi 23 Septembre 2024 à 14:47

Début juin, le Centre Prouvé de Nancy accueillait le XXXIVème congrès national de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), un événement toujours très couru par les spécialistes de la prévention et du contrôle des infections. Ce fut notamment l’occasion de découvrir les travaux de thèse de Bérengère Lefebvre, docteure en pharmacie au CHU de Toulouse, autour des besoins de formation des infirmiers d’EHPAD pour la prévention de l’antibiorésistance. Menés en partenariat avec le CPias et le CRATb Occitanie, ils ont été distingués par le Prix Junior Médical.


"Avec une prévalence estimée à 9 %, la résistance aux antibiotiques représente un réel point d'intérêt en EHPAD : elle est en effet trois fois supérieure à la prévalence à l'antibiorésistance à l'hôpital", a rappelé le Dr Bérengère Lefebvre.
 
Le mauvais usage des antibiotiques dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est en effet un enjeu bien connu, à mettre en regard avec la grande fragilité des résidents, qui les rend plus sensibles aux infections, mais aussi avec les spécificités de la vie en collectivité, un facteur favorisant la diffusion de micro-organismes pathogènes. « Il faut agir sur plusieurs champs, et c’est là tout l’objet de cette thèse d’exercice qui s’est, en premier lieu, attachée à identifier les besoins et attentes de formation des infirmiers diplômés d’État (IDE) et des infirmiers coordonnateurs (IDEC), dans le domaine du bon usage des antibiotiques et de la prévention et du contrôle des infections. Situés à l’interface entre le résident, le médecin traitant et le médecin coordonnateur, ils ont en effet ici un rôle central. L’objectif secondaire consistant, pour sa part, à identifier les professionnels à former en priorité, ainsi que les modalités de formation les plus adaptées », a-t-elle précisé.
 
Pour réaliser ce travail, codirigé par le Docteur Sandrine Canouet, du Centre de prévention des infections associées aux soins (CPias) Occitanie, et le Dr Philippe Serayet, du Centre régional en antibiothérapie (CRATb) Occitanie, la jeune pharmacienne a privilégié une approche qualitative, menant onze entretiens semi-dirigés avec 3 IDE et 8 IDEC exerçant dans 11 EHPAD, en cherchant à disposer d’un échantillonnage varié et en poursuivant les entretiens jusqu’à saturation des données, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il n’en ressorte plus d’éléments nouveaux. « Les verbatims ont été retranscrits et analysés pour en faire ressortir des unités de sens, puis ces données ont été classées en thème, par une approche inductive », a souligné Bérengère Lefebvre en évoquant une méthodologie consistant à donner priorité aux données, à l’expérience vécue et au terrain, pour ensuite avoir recours aux savoirs constitués dans un processus de construction de connaissance.

Plusieurs leviers identifiés

Elle a ensuite détaillé quelques résultats. Ainsi, l’antibiorésistance « est une notion bien connue des EHPAD, les IDE savent que la durée de la maladie est alors prolongée, et que le traitement devient plus compliqué ». Le Dr Lefebvre a néanmoins observé une certaine « ambivalence » entre la nécessité, d’une part, de préserver l’ef cacité des antibiotiques, et d’autre part celle de prémunir des résidents fragilisés par le grand âge contre les conséquences potentiellement délétères d’une infection. « Il faut inverser la tendance, a n que tous prennent conscience que le vrai risque réside dans l’antibiorésistance. La non-prescription doit aussi être considérée comme un acte de soins, et il convient de communiquer à ce sujet auprès des résidents et de leurs proches », a-t-elle insisté. Bérengère Lefebvre a ensuite évoqué la question des infections urinaires, qui sont « celles sur lesquelles les protocoles de bon usage des antibiotiques vont avoir le plus de poids », alertant sur un manque de connaissance des soignants en EHPAD sur les modalités de colonisation des urines. « Les résultats des bandelettes urinaires sont mal interprétés. Peut-être faudrait-il limiter la réalisation de ces bandelettes et les prélève- ments d’urine, a-t-elle fait valoir. Les infirmiers doivent également être en mesure d’informer le médecin quand une réévaluation ou une désescalade de l’antibiothérapie est nécessaire ».

En ce qui concerne la prévention du risque infectieux, « les choix des mesures barrière sont souvent à la charge des IDE, et il y a ici une certaine confusion entre précautions standard et précautions complémentaires. Certaines précautions complémentaires sont mises en œuvre en excès, là où des précautions standard bien appliquées seraient suffisantes », a-t-elle noté en soulignant la nécessité de mener ici des actions de formation ciblées, mais aussi de mieux accompagner la mise en œuvre des gestes barrière auprès des résidents et de leurs familles, a n que tous soient acteurs de la prévention et du contrôle des infections. S’arrêtant en n sur la vaccination, la pharmacienne a là aussi mis en lumière une certaine ambivalence : « les IDE sont convaincus de son utilité, mais les campagnes de sensibilisation à la vaccination sont perçues comme trop culpabilisantes. Il y a également une surévaluation des risques liés à la vaccination ». Pour le Dr Lefebvre, un travail doit donc encore être mené pour renforcer la confiance dans les vaccins et « renverser là aussi la perception du risque : ce qui est grave, c’est la maladie et non la vaccination ». Les IDE doivent également être mieux formés à la promotion de cette vaccination auprès des résidents et de leurs proches.

Des ambassadeurs du bon usage des antibiotiques ?

En conclusion ? « La formation initiale des infirmiers est insuffisante pour leur permettre d’acquérir les notions nécessaires à la prise en charge des patients infectés, et ils se forment principalement sur le terrain » auprès de leurs pairs, a-t-elle argué. Surtout, cette formation porte essentiellement sur la prévention et le contrôle de l’infection, l’antibiothérapie étant considérée comme le pré carré du médecin coordonnateur. « Sur le champ du bon usage des antibiotiques, il convient donc de former en priorité les équipes des EHPAD ne disposant pas de médecin coordonnateur », a observé Bérengère Lefebvre. Toutefois, pour que la prévention de l’antibiorésistance soit ef cace en EHPAD, des moyens suf- sants doivent être mis en place dans la structure. « Mener une politique de bon usage des antibiotiques va demander du temps, pour former le personnel, pour mettre en place des référents, des protocoles, pour réévaluer les antibio- tiques, pour réactualiser les connaissances », a-t-elle souligné. Des actions qui pourraient être coordonnées par les structures d’accompagnement et d’appui intervenant auprès des structures médico-sociales, particulièrement les équipes mobiles d’hygiène et les équipes multidisciplinaires en antibiothérapie. La jeune pharmacienne a également évoqué la mise en place d’ambassadeurs du bon usage des antibiotiques en EHPAD : « ce pourrait être les IDEC, qui sont pour certains déjà sensibilisés au bon usage des antibiotiques. Ou des IDE référents en hygiène, pour la même raison. La limite est cependant de réussir à leur dégager du temps pour qu’ils puissent justement faire plus de prévention ».
 
Par les autres pistes relevées, la question de l’attractivité des métiers du grand âge ne peut être éludée, car les bonnes pratiques de prévention et de contrôle des infections, et celles relatives au bon usage des antibiotiques, imposent de disposer de plus de médecins en EHPAD et de limiter le turn-over soignant. « Il semble certes nécessaire de renforcer les compétences des infirmiers en EHPAD, mais il faut aussi leur permettre de mettre ces nouvelles compétences en application, de les faire reconnaître et de les valoriser », a-t- elle conclu en évoquant l’arrivée des infirmiers en pratique avancée (IPA). Elle a également précisé que, de manière complémentaire à ce travail, une thèse médicale, menée par Léa Oudot, interne en médecine générale à la Faculté de médecine de Montpellier Nîmes, a pour sa part exploré les besoins et attentes de formation des médecins généralistes dans le domaine du bon usage des antibiotiques en EHPAD.
 
Pour consulter la thèse de Bérengère Lefebvre dans son intégralité : http://thesesante.ups-tlse. fr/4676/1/2023TOU32079.pdf

 
> Article paru dans Ehpadia #36, édition de juin 2024, à lire ici 


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